C’aurait pu ne pas être !…
Et, il s’en fallu de peu pour que cela ne soit pas !

 

Chantal aux commande, de profil, sur un ciel orange et jaune au-dessus des monts.

 

L’objectif de notre désormais traditionnelle semaine de voyage avec l’aéro-club de Limoges-Bellegarde était, cette année, de nous rendre en Corse. La Corse, pour notre petit monde aéronautique, on va dire qu’il y a trois façon de l’envisager : il y a les pilotes qui rêvent d’y aller, il y a ceux qui l’on « fait » une fois et qui font rêver le premier groupe autour du bar de l’aéro-club, et il y a les vieux briscards qui l’ont fait tellement de fois qu’ils considèrent cela comme un vol tout à fait ordinaire en lui conférant toutefois une certaine part de mystère. Or, jusqu’au premier juillet de cette année, Chantal et moi faisions partie du premier groupe.

 

L'aéroport d'Ajaccio : sur un fond de montagnes vertes, la piste touche presque la mer qui borde l'intégralité du lieu. Des avions sont à l'arrêt, à côté de parkings bien remplis.

 

Cependant, comme ni elle ni moi n’avions touché à un avion depuis quasiment un an, quelque entrainement et «remise en selle» nous était indispensable avant d’entreprendre un voyage de plus de 5h30. C’est pourquoi, durant la semaine du 27 juin au 3 juillet que nous avions décidé de passer dans la cité de la porcelaine, le voyage vers l’île de Beauté n’avait été fixé qu’en fin de séjour.
Mais apparemment, les dieux n’étaient pas avec nous, du moins aurions nous pu le penser pendant tout le début de la semaine.
Lundi, ce fut volable le matin, un peu moins l’après-midi. Mardi, pluie et repluie ; personne ne prit l’air. Mercredi, matinée pluvieuse, mais une amélioration dans l’après-midi nous permit une petite nave sur Figeac. Comme remise en route, c’était maigre, mais que voulez-vous, nul ne peut raisonnablement aller contre le temps… Quant à la météo du jeudi matin, vu l’humidité de ces deux derniers jour, elle nous prévoyait logiquement un fort brouillard, du moins en début de journée et, pour comble de chance, on vint nous prévenir que la piste serait fermée pour travaux pendant deux jours à partir de 8h du matin… Ça s’annonçait vraiment mal et, si nous voulions avoir une chance de partir il nous fallait, dès le mercredi soir, amener l’avion sur le terrain de Saint-Junien, distant de Limoges d’une dizaine de nautiques vers l’ouest, mais moins exposé au brouillard matinal, et surtout dont la piste resterait ouverte. Et c’est ce que nous fîmes.

 

Aperçu de cette météo chargée: le cantal s'étend sous un horizon très sombre, les nuages gris et dense projettent des ombres sur les champs.

 

Restait une exigence à satisfaire, l’obligation, pour entrer sur le sol Corse, de présenter une vaccination complète contre la COVID de plus de 15 jours, ou un test antigénique de moins de 48h. La pharmacie compatissante d’un village tout proche de l’aérodrome voulu bien nous accorder un rendez-vous pour tous les trois le mercredi à 18h, et un ami pilote de l’aéro-club vint nous chercher dès notre descente d’avion à Saint-Junien afin que nous y soyons à l’heure ; les cieux ont enfin semblé se montrer cléments par rapport à notre projet.

Jeudi 1er juillet: il fait grand beau temps sur le terrain de Saint-Junien lorsque nous y arrivons, après un passage à l’aéro-club pour régler les derniers détails. Effectivement, conformément aux prévisions, Limoges est noyé dans un épais brouillard. On s’installe à bord avec le moins de bagages possible, car lors de notre étape de Gap nous devons récupérer Dominique, un Corse regagnant son île et faisant partie du groupe devant nous accueillir sur place.
Décollage : 8h30. Au bout de la piste 25 de Saint-Ju, le brouillard est présent et, lorsque je tire sur le volant du Cessna, mes roues sont encore dans le coton. Montée à 5 500 pieds pour être au-dessus du brouillard, mais surtout pour passer à la verticale du terrain de Limoges d’où nous avons pris tous nos repères pour la suite du voyage ; Limoges est bien sous les stratus. Direction Le Puy où Chantal prendra les commandes. Les zones militaires R68 et R368 ne sont pas actives, formidable, nous allons pouvoir filer tout droit. Mais sur le plateau d’Ussel, nous rencontrons de nombreux cumulus congestus, et Philippe, notre instructeur et fidèle compagnon dans ce genre d’aventure, m’aide à zigzaguer entre eux sans toutefois nous éloigner de notre route. A 10h, je coupe les contacts sur le terrain du Puy, et Chantal me succède aux commandes.

 

Les cumulus congestus recouvrent pratiquement entièrement le plateau d'Ussel. Depuis l'avion, une partie de l'horizon est recouverte par ces nuages blancs : on aperçoit les terres et un ciel bleu derrière

 

On redécolle en direction de Gap. Au fil de notre progression, les nuages s’espacent. Voici le mont Mézenc, dernier obstacle avant la vallée du Rhône, on voit désormais nettement le sol et, franchie le Rhône, c’est le grand ciel bleu.
Arrivée sur Gap. Bon sang que d’avions convergent en même temps sur les points Sierra, puis Sierra Alpha dans le fond de cette vallée. C’est pire que la place de la Concorde à l’heure de pointe ! A la tour, l’agent AFIS fait un véritable boulot de contrôleur dans une merveilleuse bonne humeur. Il y en a même un qui, se posant devant nous, perd sa carte sur la piste… La voiture de piste viendra la récupérer juste derrière nous. Ouf ! On est posé, au bout d’une heure 18 de vol ; Dominique nous attend, fidèle au rendez-vous.

 

En contrebas, le Mont Mezenc, dernier obstacle du Massif Central: les terres forment comme une cuvette autour d'un lac, en alternant étendues de verdures et regroupements feuillus. Le ciel est chargé de nuages gris

 

Paiement de la taxe d’atterrissage (ici raisonnable), dépôt du plan de vol non sans mal par la plate-forme OLIVIA puisque, de là, nous visons directement Ajaccio, mise des gilets de sauvetage, (la prudence est mère de sûreté), réglage de notre radio de secours sur la fréquence d’alerte… On embarque et je reprends les commandes. Je m’aligne en piste 20 en préservant un maximum de longueur : cette piste n’est pas très longue, nous sommes en altitude (quasiment 2000 pieds), il fait chaud, nous sommes désormais quatre dans l’avion et nous emportons beaucoup d’essence… Tous paramètres contribuant à majorer notre distance de décollage. Pourtant nous avons vérifié, sur le papier, les performances du Cessna dans de telles conditions et « ça passe » sans problème, mais là aussi, deux précautions valent mieux qu’une. Pieds sur les freins, j’affiche la puissance maximum, laisse le moteur monter en régime, puis lâche les freins. Notre Fox India Hôtel bondit bravement et décolle sans rechigner. J’ai annoncé mon intention de monter au niveau de vol 75, je quitte la fréquence de Gap et passe avec Marseille-Info. Le Cessna grimpe, et nous escaladons les crêtes des Alpes provençales ; sous nos ailes, le paysage est magnifique.

 

Le lac de Castellane: au milieu des monts recouverts de verdure, le lac serpente entre les roches, tout en longueur et étroitesse, comme une rivière. Son eau est d'un surprenant bleu turquoise.

 

Passage au droit du lac de Castellane, puis à l’ouest du terrain de Cannes-Mandelieu, et nous attaquons la traversée maritime de la Méditerranée en survolant les traditionnels points de report : Omar, Merlu et Lonsu. Désormais, pendant environ 1h20, il n’y aura au-dessous de nous que de l’eau.
Survol des îles Sanguinaires, et on arrive sur Ajaccio. Bonne humeur et bienveillance au niveau du contrôle, nous sommes même reconnus et attendus, et le contrôleur se met à saluer chaleureusement Dominique sur la fréquence ; ils sont voisins. Il nous demande une verticale terrain tandis qu’il fait se poser un Airbus d’Air-Corsica au-dessous de nous. Pourquoi pas !… Là, je dois honnêtement avouer que c’est Philippe qui a repris les commandes, d’abord parce que, très surpris je n’ai pas compris de prime abord ce qui m’était demandé, et ensuite parce qu’il fallait faire vite et que la situation ne se prêtait pas à des explications préalables. Puis au sol, le contrôleur me guide d’une façon tellement précise que je n’ai aucun mal à suivre ses indications ; Philippe n’a que très peu de choses à rajouter. Ma parole, on dirait que ce gars-là a guidé des Mirauds Volants toute sa vie !… Au Parking, je coupe les contacts, pas fâché d’être arrivé. Bilan, 2h05 de vol depuis Gap, et un total depuis Saint-Junien de 5h53. Soundflyer n’a pas failli et il reste même 18% de batteries.

 

La pointe des îles Sanguinaires ; un point de vue paradisiaque. Le bras de terre s'avance sur un eau au bleu profond et va en s'étirant pour avancer dans la mer. L'île est recouverte de verdure. A sa pointe, on distingue une ancienne construction de pierres, ruines ou phare.

 

Que vous dire des 24 heures que nous avons passés sur le sol Corse… Qu’il a fait un temps magnifique, mais ça, c’est presque un pléonasme. Que nous y étions attendus, mais ça, je crois que vous l’avez compris. Et que nous avons été accueillis comme des princes par le groupe de personnes avec qui j’étais en contact depuis déjà quelques mois et dont l’objectif était, entre autre, d’organiser une découverte de leur île en paramoteur pour des groupes de mal et non voyants, opération (BIEN COMMUN SOLIDAIRE / « donner des aile »). Or, nous allons bientôt le découvrir, nos amis font partie d’un groupe de chrétiens à la foi souvent quelque peu exubérante. Mais qu’importe… Le propre de pilotes n’est-il pas de savoir s’adapter aux situations les plus inattendues ? D’amblée nous sommes incorporés au groupe et à leur séjour culturel et gastronomico-touristique. Rendez-vous à l’évêché pour une rencontre avec l’évêque et pour une conférence sur Napoléon et sa « Campagne d’Égypte », repas convivial pris en commun à la « villa » où loge le groupe et où nous serons aussi hébergés pour la nuit, puis repas du lendemain midi chez Monsieur Alain LENÔTRE en personne, oui, oui, oui !… Le grand cuisinier himself, partenaire de l’opération et qui avait convié le groupe à déjeuner chez lui et à profiter de sa piscine.
Puis il a bien fallu songer à repartir.

 

Symbole d'une météo enchanteresse, on pourrait presque douter de la présence de la Corse, au-delà de l'étendue bleue et au bout de l'aile du Cessna. Tout en haut de l'image, le ciel rencontre la mer dans une même couleur, juste départagée par les contours de l'île de Beauté.

 

Décollage d’Ajaccio Campo-dell-Oro à 15h30 après avoir fait les pleins et satisfaits aux contrôles de police. Direction Cuers-Pierrefeu ; cette fois, c’est Chantal qui a pris les commandes pour traverser la Méditerranée dans l’autre sens. Or, si à l’aller le vent nous avait été favorable (soufflant du trois-quarts arrière droit), aujourd’hui nous l’avons dans le nez pour 20 nœuds. Au loin sur la mer, un Ferry… Sans que nous le lui demandions, le contrôle nous facilite la tâche ; de Lonsu, il nous autorise une directe sur le VOR de Saint-Tropez sans avoir à survoler les autres points de report maritimes : Merlu et Omar. C’est toujours ça de pris. Nous sommes à nouveau « sur le continent ». Survol de la plage de Pampelone, de la baie de Saint-Tropez, du terrain de La Môle et atterrissage à Quers-Pierrefeu pour changer de pilote. Paiement de la taxe, et je redécolle en direction de Millau pour un trajet le plus direct possible, du moins nous l’espérons.

 

Survol de la plage de Pampelone : toujours cette mer a bleu profond qui va en s'éclaircissant lorsqu'il touche le sable. Les bords de mer forment comme un T sur tout le coin gauche de l'image, sous l'aile de l'avion. A cette distance, les trainées laissées par les bateaux dessinent des griffures blanches à la surface, comme une multitude de comètes.

 

D’amblée, je suis autorisé à un niveau 65, avec une directe sur le VOR MRM de Marseille. Tout commence bien. Puis de là, je poursuis à la même altitude sur Millau ; merveilleux ! Mais avec ce foutu vent dans le pif, nous n’avançons pas et c’est tout juste si notre cessna arrive à faire du 85 nœuds… Parfois, avec beaucoup d’efforts, du 88 nœuds. C’est interminable. Enfin, au bout d’une heure cinquante de combat contre le vent, je me pose à Millau et nous décidons de rajouter 40 litres dans les ailes.
C’est Chantal qui va conclure notre voyage pour la dernière branche : Millau – Limoges. Sur notre gauche, nous admirons le viaduc, ouvrage d’art hors norme et plaisir toujours renouvelé. Le vent est tombé et nous retrouvons nos 110 nœuds de croisière. Mais bientôt, l’horizon s’obscurcit ; là-bas, il pleut et Limoges est sous le grain.
C’est à 21h30 que nous stoppons devant le hangar. La pluie vient juste de cesser. Nous rentrons la machine, en extrayons l’essentiel et nous dépêchons de quitter le terrain ; pour les détails, la paperasse et le ménage de l’avion, on verra demain matin.

 

Le viaduc de Millau traverse l'image de gauche à droite, visible ainsi dans une partie de sa longueur ; ses piliers et ses câbles blancs se détachent sur la verdure et les terres cultivées.

 

Alors, que dire d’une telle aventure ? Tout d’abord et en insistant fortement, c’est avant tout que si nous voulons y avoir un maximum d’autonomie, elle se prépare. Par téléphone, par e-mail et de visu lors de notre venue à limoges pour la Fête de l’Aviation, nous y avons consacré plusieurs heures en compagnie de Philippe. On ne peut concevoir qu’un tel voyage, plus de 850 nautiques allé et retour, s’entreprenne à la légère.
Ensuite c’est que, malgré sa complexité et la fatigue, le jeu en vaut largement la chandelle et que nous ne pouvons que vous inciter, après l’indispensable expérience et entraînement qui convient, de tenter de tels voyages. L’avion n’a pas été inventé pour tourner en rond autour de son aérodrome d’attache. Il a été créé pour voyager ou, en plagiant Saint-Exupéry, pour relier les hommes entre eux.
Enfin, s’il est correctement préparé et mené avec la rigueur et la responsabilité qui convient, on ne ressort pas d’un tel voyage comme on l’a débuté. En effet, la somme des situations rencontrées, les événements inattendus auxquels il aura fallu s’adapter surpasseront de très loin n’importe quelle leçon en instruction, même si ensuite, nous pouvons être amenés à reprendre certains points complexes ou que nous n’avons pas entièrement compris sur le moment.

 

En vol au-dessus de la méditerranée, un ferry, seul et tout petit au loin, travers un bleu faits de nuances lumineuses. La trainées d'écume qu'il laisse derrière lui semble imiter les quelques fils de nuages blancs dans un ciel dont on ne devine pas le point de rencontre avec la mer.

 

Bref et une fois de plus, nous ne pouvons que vous encourager à voyager.

Patrice, Chantal et Philippe.

Et merci à Philippe pour toutes ses photos.